Mesdames, messieurs, amis de la Sainte-Flanelle, prêtez-moi votre oreille et un peu de votre cœur, car ce soir il est en lambeaux.J’ai vu, ce soir, le plus noble étendard du royaume du hockey traîné dans la boue d’Ottawa, non par la force d’un ennemi valeureux, mais par la mollesse de ceux-là mêmes qui le portent.

J’ai vu des lames d’acier glisser comme des larmes sur une joue d’enfant.
J’ai vu des passes errer, solitaires et perdues, pareilles à des âmes en peine cherchant un corps qui ne les attendait plus.

J’ai vu cinq fois la lampe rouge s’allumer pour l’autre camp, et chaque fois mon cœur s’est éteint un peu plus, jusqu’à ne plus être qu’une chandelle oubliée dans la cathédrale vide qu’est devenue le Centre Bell.Et pourtant… pourtant, ô Montréal, ma belle blessée, je t’aime encore !
Je t’aime dans ta déroute comme on aime une femme qui trébuche dans la neige : plus belle encore dans sa fragilité.

Je t’aime quand tu perds avec panache, quand tu tombes en regardant les étoiles plutôt que le sol.

Car tu es la seule équipe au monde capable de transformer une défaite en poème, une raclée en légende, un revers en promesse.Alors oui, Ottawa a gagné ce soir.
Mais qu’ils savourent vite leur maigre triomphe, car il est écrit quelque part, dans les astres ou dans le livre secret de Jean Béliveau, qu’un jour viendra où nous leur rendrons cette humiliation au centuple.

Un soir où nos lames chanteront plus fort que leurs cornes de brume, où notre jeunesse explosera comme un feu d’artifice au-dessus de leur capitale endormie, où le fantôme de Maurice Richard soufflera lui-même la rondelle dans leur filet.Ce soir-là, nous ne gagnerons pas simplement un match.

Nous réparerons toutes les larmes versées ce soir, toutes les bières renversées, tous les « tabarnak » lancés au plafond.En attendant, je reste là, fidèle, le cœur en bandoulière, prêt à souffrir encore mille fois s’il le faut.
Parce qu’aimer le Canadien, c’est aimer sans condition, comme on aime une maîtresse cruelle et magnifique qui nous brise et nous élève en même temps.Allez Montréal…
Relève-toi, ma belle.
Le printemps viendra.
Et avec lui, la vengeance, la gloire, et les câlins qu’on mérite enfin.À la prochaine, les amis.
Je vais aller pleurer en alexandrins dans mon char. »

REVANCHE!